1986 – AANAL (!)
Collection Patte de Mouche (No 4 – 2e série)
30 pages – 11 x 8 cm
Impression en photocopie, ouvrage relié à la main.
ÉPUISÉ
L’association pour l’Apologie du Neuvième Art Libre (AANAL) fut fondée et dirigée par J. C. Menu, et la collection Patte de Mouche par Stanislas.
La collection sera poursuivie de manière plus professionnelle par les mêmes à L’Association dont ils sont cofondateurs.
L’amant
Les murs ont une mémoire…
Ceux-là sentent la fumée et semblent s’être polis
sur les sons de cette musique qui les fait frémir
comme frémissent à leur propre contact
deux corps qui s’aiment…
J’étais entré là par hasard.
J’avais suivi une ruelle
dont l’odeur particulière
-un mélange de poussière de bois
et de trottoir fraichement mouillé-
avait fait remonter à mon esprit
une partie de mon enfance.
Et puis ce fut la musique
qui m’attira dans cette maison.
À l’intérieur, quelqu’un s’exerçait sur un instrument
que je ne parvenais pas à identifier.
Un instrument à vent,
d’une étendue de trois octaves au moins…
Il produisait des sons d’une rare pureté,
ronds et chauds, enveloppants ou aériens
comme le plus subtil des parfums.
Je restai quelques minutes fasciné,
mais j’eus conscience que le musicien
ne tirait qu’un faible parti de son instrument.
Si seulement j’avais pu…
J’étais seul dans cette pièce,
et la musique s’était muée en plainte,
puis avait cessé brusquement.
À travers l’embrasure d’une porte
j’aperçus une femme, belle, de cette beauté
que vous ne remarquez que longtemps après
mais qui vous touche alors profondément.
Elle murmurait.
Et face à elle, un homme -était-ce mon musicien-
les yeux baissés l’écoutait,
une main posée sur le coeur
comme pour se protéger
des blessures qu’elle lui infligeait.
Lorsqu’il sortit, je vis l’étrange instrument
posé sur une chaise que la silhouette de l’homme
m’avait cachée jusque là.
La forme était celle d’un saxophone,
mais recourbée sur le bas d’une manière inhabituelle.
Puis la femme se tourna vers moi.
je pris l’instrument entre mes mains…
Et les murs semblèrent se courber sur moi.
Quatre cordes chantent,
un piano lance ses notes…
La musique remplit la pièce
jusque dans ses moindres recoins.
Elle emplit les corps et les remue
dans une jouissance commune…
Debout sur l’estrade,
je joue pour elle, pour sa beauté,
pour le goût de ses lèvres.
La musique est ma maîtresse.
Götting – 1986